Les obligations légales des entreprises à mission

La loi PACTE de 2019 a instauré en France le statut d’entreprise à mission, permettant aux sociétés d’inscrire une raison d’être et des objectifs sociaux et environnementaux dans leurs statuts. Ce nouveau modèle d’entreprise s’accompagne d’obligations légales spécifiques visant à garantir le respect des engagements pris. Examinons en détail ces obligations qui encadrent l’action des entreprises à mission et assurent la crédibilité de leur démarche.

Le cadre juridique des entreprises à mission

Le statut d’entreprise à mission s’inscrit dans un cadre juridique précis défini par la loi PACTE. Pour obtenir cette qualité, une société doit modifier ses statuts afin d’y intégrer plusieurs éléments clés :

  • Une raison d’être, qui exprime la finalité de l’entreprise au-delà du seul profit
  • Un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre
  • Les modalités de suivi de l’exécution de la mission

Ces modifications statutaires doivent être approuvées en assemblée générale extraordinaire à la majorité des deux tiers des actionnaires. Une fois ces éléments intégrés, l’entreprise peut se déclarer « société à mission » auprès du greffe du tribunal de commerce.Le cadre légal impose ensuite plusieurs obligations visant à garantir le sérieux de la démarche :

La constitution d’un comité de mission

L’entreprise doit mettre en place un comité de mission distinct des organes sociaux existants. Ce comité est chargé du suivi de l’exécution de la mission. Il doit comporter au moins un salarié de l’entreprise. Sa composition et son fonctionnement sont définis dans les statuts.

La désignation d’un organisme tiers indépendant

La société doit désigner un organisme tiers indépendant (OTI) accrédité par le COFRAC pour vérifier l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux. Cet OTI doit être renouvelé tous les 3 ans pour les PME, et tous les 2 ans pour les grandes entreprises.Ces obligations structurelles constituent le socle du dispositif légal encadrant les entreprises à mission. Elles visent à assurer la transparence et le contrôle de la démarche, afin d’éviter tout risque de « mission washing ».

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Les obligations de reporting et de transparence

Au-delà du cadre structurel, les entreprises à mission sont soumises à des obligations renforcées en matière de reporting et de transparence sur l’exécution de leur mission.

Le rapport annuel du comité de mission

Le comité de mission doit présenter annuellement un rapport joint au rapport de gestion. Ce document doit détailler :

  • Les actions menées pour exécuter la mission
  • Les difficultés éventuellement rencontrées
  • Les progrès réalisés

Ce rapport constitue un élément clé de la transparence sur l’activité de l’entreprise à mission. Il permet aux parties prenantes d’évaluer la cohérence entre les engagements pris et les actions concrètes menées.

La vérification par l’organisme tiers indépendant

L’organisme tiers indépendant (OTI) désigné par l’entreprise doit vérifier l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux. Il produit un avis motivé qui est joint au rapport du comité de mission.Cette vérification externe apporte une garantie supplémentaire sur la sincérité de la démarche. L’avis de l’OTI peut mettre en lumière d’éventuels écarts entre les objectifs affichés et leur réalisation effective.

La publication des informations

Les entreprises à mission doivent rendre publics le rapport du comité de mission et l’avis de l’OTI. Ces documents doivent être mis à disposition sur le site internet de la société, assurant ainsi une large diffusion de l’information.Cette obligation de publication renforce la transparence du dispositif et permet à toutes les parties prenantes (salariés, clients, fournisseurs, société civile) d’accéder aux informations sur l’exécution de la mission.Ces obligations de reporting et de transparence visent à crédibiliser la démarche des entreprises à mission. Elles constituent un garde-fou contre les risques de greenwashing ou de social washing, en imposant un suivi rigoureux et une communication régulière sur les actions menées.

Les conséquences juridiques du non-respect des obligations

Le statut d’entreprise à mission n’est pas une simple déclaration d’intention. Le non-respect des obligations légales peut entraîner des conséquences juridiques significatives pour la société.

La perte de la qualité de société à mission

Si l’organisme tiers indépendant constate qu’une ou plusieurs des conditions légales ne sont plus respectées, ou que les objectifs sociaux et environnementaux n’ont pas été poursuivis conformément aux engagements pris, le ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal statuant en référé.Le juge peut alors enjoindre à la société, sous astreinte, de supprimer la mention « société à mission » de tous ses actes et documents. En cas de non-exécution de cette injonction, la société peut perdre définitivement la qualité de société à mission.

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Les risques de contentieux

Le non-respect des engagements pris dans le cadre de la mission peut exposer l’entreprise à des risques de contentieux :

  • Actions en responsabilité de la part des actionnaires
  • Plaintes de consommateurs pour pratiques commerciales trompeuses
  • Contestations de la part des salariés ou des syndicats

Ces risques juridiques incitent les entreprises à mission à une grande rigueur dans l’exécution de leurs engagements et dans le respect de leurs obligations légales.

Les sanctions pénales

La loi prévoit des sanctions pénales en cas d’usage abusif de la qualité de société à mission. Ainsi, le fait de se prévaloir indûment de cette qualité est puni d’une amende de 3750 euros, pouvant être multipliée par cinq pour les personnes morales.Ces dispositions visent à protéger l’intégrité du statut d’entreprise à mission et à dissuader toute tentative de détournement à des fins de communication sans engagement réel.Les conséquences juridiques du non-respect des obligations soulignent l’importance pour les entreprises à mission de mettre en place une gouvernance solide et des processus rigoureux pour assurer le suivi et l’exécution de leurs engagements.

L’articulation avec les autres obligations légales

Le statut d’entreprise à mission ne dispense pas la société de ses autres obligations légales. Au contraire, il vient s’articuler avec les dispositifs existants, renforçant parfois certaines exigences.

La déclaration de performance extra-financière

Les grandes entreprises soumises à l’obligation de publier une déclaration de performance extra-financière (DPEF) doivent y intégrer des informations sur l’exécution de leur mission. Cette articulation permet de renforcer la cohérence du reporting extra-financier de l’entreprise.

Le devoir de vigilance

Pour les entreprises concernées par la loi sur le devoir de vigilance, les objectifs sociaux et environnementaux de la mission doivent être pris en compte dans l’élaboration du plan de vigilance. Cela peut conduire à un renforcement des mesures de prévention des risques liés aux droits humains et à l’environnement.

La responsabilité sociétale des entreprises (RSE)

Le statut d’entreprise à mission s’inscrit dans une démarche plus large de RSE. Les engagements pris dans le cadre de la mission doivent être cohérents avec la politique RSE de l’entreprise et peuvent contribuer à la renforcer.Cette articulation avec les autres obligations légales souligne que le statut d’entreprise à mission ne se substitue pas aux dispositifs existants, mais vient les compléter et les renforcer. Les entreprises à mission doivent donc veiller à la cohérence globale de leur démarche et de leur communication sur ces différents aspects.

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Les enjeux futurs pour les entreprises à mission

Le cadre légal des entreprises à mission est encore récent et pourrait évoluer dans les années à venir. Plusieurs enjeux se dessinent pour l’avenir de ce statut :

Le renforcement potentiel des contrôles

Face aux risques de « mission washing », on pourrait assister à un renforcement des contrôles sur les entreprises à mission. Cela pourrait se traduire par :

  • Un élargissement du rôle de l’organisme tiers indépendant
  • Une implication accrue des parties prenantes dans le suivi de la mission
  • Des exigences plus strictes en matière de reporting

L’harmonisation européenne

L’Union européenne réfléchit à un cadre harmonisé pour les entreprises à mission au niveau communautaire. Cela pourrait conduire à une évolution du dispositif français pour l’aligner sur des standards européens.

L’extension des incitations

Pour encourager l’adoption du statut d’entreprise à mission, de nouvelles incitations pourraient être mises en place :

  • Avantages fiscaux
  • Accès facilité aux marchés publics
  • Soutiens spécifiques à l’innovation sociale et environnementale

L’évolution des critères d’évaluation

Les méthodes d’évaluation de l’impact des entreprises à mission pourraient se sophistiquer, avec le développement de nouveaux indicateurs et outils de mesure. Cela pourrait conduire à une évolution des obligations légales en matière de reporting.Ces enjeux futurs soulignent que le cadre légal des entreprises à mission est appelé à évoluer. Les sociétés qui adoptent ce statut doivent donc rester vigilantes et se préparer à adapter leurs pratiques aux évolutions réglementaires à venir.

Vers une nouvelle norme d’entreprise responsable ?

Le développement des entreprises à mission s’inscrit dans une tendance de fond visant à repenser le rôle de l’entreprise dans la société. Les obligations légales qui encadrent ce statut contribuent à en faire un modèle crédible et exigeant d’entreprise responsable.L’avenir dira si ce modèle est appelé à se généraliser ou s’il restera l’apanage d’un nombre limité d’entreprises pionnières. Quoi qu’il en soit, les principes qui sous-tendent le statut d’entreprise à mission – engagement sociétal, transparence, gouvernance participative – sont susceptibles d’influencer plus largement les pratiques du monde économique.Les obligations légales des entreprises à mission, loin d’être de simples contraintes administratives, constituent ainsi le socle d’un nouveau paradigme entrepreneurial. Elles invitent les entreprises à repenser leur raison d’être, leur gouvernance et leur impact sur la société et l’environnement.Pour les dirigeants et les juristes d’entreprise, la maîtrise de ces obligations est devenue un enjeu stratégique. Elle permet non seulement de se conformer à la loi, mais aussi de transformer ces exigences en opportunités de création de valeur durable pour l’ensemble des parties prenantes.En définitive, le cadre légal des entreprises à mission pose les jalons d’une nouvelle conception de la performance entrepreneuriale, où la réussite économique va de pair avec la contribution positive à la société et à l’environnement. C’est tout l’enjeu des années à venir : faire de ces obligations légales le moteur d’une transformation profonde et durable du monde de l’entreprise.